Étude des débuts de romans



Quelques caractéristiques du texte narratif

L'activité qui suit a été créée à partir du début de chaque roman de la sélection 2015-2016, mais peut être adaptée...

Voici les romans sélectionnés pour l'année 2015-2016:

I Littérature québécoise / canadienne
  1. Eux, Patrick Isabelle, Leméac
  2. Ma vie (racontée malgré moi) par Henry K. Larsen, Susin Nielsen, La courte échelle
  3. Zodiak, tome 1: Les Nébuleux, Maude Royer, Ada éditions
  4. Feu, Jean-François Sénéchal, Leméac
  5. Lili Moka, Élizabeth Turgeon, Boréal

II Littérature étrangère
  1. Tant que nous sommes vivants, Anne-Laure Bondoux, Gallimard
  2. Les autodafeurs, tome 1: Mon frère est un gardien, Marine Carteron, Éditions du Rouergue
  3. Comme un feu furieux, Marie Chartres, L’École des loisirs
  4. Ciel, tome 1: L’hiver des machines, Johan Heliot, Gulf Stream
  5. Les filles sauvages, Pat Murphy, Bayard jeunesse

                          Activité 1:
En observant uniquement les titres, pouvez-vous faire des hypothèses de lecture: d'après vous, s'agit-il de romans réalistes, policiers, fantastiques, de science-fiction, etc. ?





                          Activité 2:
Maintenant, observez les couvertures des romans, sans lire la quatrième de            couverture. Arrivez-vous aux mêmes hypothèses que lors de la lecture des titres ?





Les incipits de romans


   Le mot « incipit » vient de « incipere », en latin, qui signifie « commencer ».

Traditionnellement, il s’agissait de la première phrase d’une oeuvre. 

Maintenant, ce mot désigne le début d’un texte: une phrase ou un paragraphe, voire une page ou un chapitre.

Vous savez bien que c’est une partie importante d’un roman, c’est celle qui va vous donner envie de continuer ou d’abandonner votre lecture !

Les contes merveilleux ont gardé de leurs origines orales des formules types pour commencer l’histoire: « il était une fois …»

La nouvelle et le roman créent d’autres formes d’entrée.



On peut distinguer 4 types d’incipits:

L’incipit dynamique (aussi appelé « incipit in media res »: encore du latin ! Cela pourrait se traduire par « en plein milieu de l’action » !). Ce début plonge le lecteur dans une histoire déjà commencée. 

L’incipit statique: il plante le décor sous la forme d’une description qui donne un avant-goût de l’action. Ce type de début était très fréquent dans les romans réalistes du XIXe siècle.

L’incipit progressif: il présente, au fur et à mesure, quelques informations importantes sur les personnages avant d’engager l’action.

L’incipit suspensif: il retarde l’action par un détour qui conduira indirectement le lecteur au coeur de l’action. Par exemple, La Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette (1678) commence par une évocation du règne du roi Henri II et de personnages historiques qui vont jouer un rôle dans l’action, mais l’action elle-même ne commence pas à ce moment. Ce type de début est plus rare et peut être assez déroutant !






Voici les incipits des 10 romans, sans indication du titre ni de l’auteur. 



Incipit 1:

Les yeux braqués sur la porte, Christophe hésitait à entrer. Les odeurs de médicaments et de désinfectants lui donnaient la nausée. Tout ce qu’il souhaitait, c’était que le docteur Andrew Miller arrive, que l’entretien commence et se termine, et qu’il puisse enfin quitter ce damné hôpital.
 - Pourquoi n’attendez-vous pas le médecin dans la chambre de votre fils, monsieur Lacroix ? lui demanda pour la deuxième fois l’infirmière en se plantant devant lui.
Il ne dit rien et elle s’éclipsa.
Christophe patienta encore une quinzaine de minutes, avant d’apercevoir le docteur Andrew Miller qui passait devant le poste d’accueil, saluant au passage le personnel médical.
  - Tu as parlé à Hugo ?
 - Non, je n’ai pas eu le temps. Je viens d’arriver, mentit Christophe tout en reculant pour secouer son manteau devant lui.
Il le replia soigneusement, créant un espace un peu plus grand entre son ami et lui.
Andrew n’était pas dupe. Christophe et lui se connaissaient depuis des années. Il voyait que celui-ci était mal à l’aise. Marianne, épouse de Christophe et mère d’Hugo, était morte un an plus tôt d’un cancer. Et maintenant, Hugo allait de plus en plus mal.
Ils marchèrent jusqu’au bout du corridor et s’arrêtèrent devant une fenêtre qui avait vue sur Montréal. La neige s’entassait sur les toits en formant des taches pâles. Des colonnes de fumée se dressaient au-dessus des cheminées. Autant de signatures d’une journée glaciale de février.
 - Tu ne vois plus ton fils. Il est seul, murmura Andrew.







Incipit 2:


J’ai vu la peur dans leurs yeux.
Ça m’a fait du bien.
Alors j’ai tiré.







Je suis laid. Je me sens laid. Je me trouve stupide de me sentir laid. Mais c’est plus fort que moi. Quand je me regarde dans le miroir, ce n’est pas moi que je vois. Mon reflet n’a rien en commun avec celui que je suis. C’est comme si mon âme s’était trompée de corps à ma naissance.
Je ne vais plus dans les vestiaires. Je vais discrètement me changer aux toilettes après mon cours d’éducation physique. Je ne veux pas que les autres gars me voient. Je ne veux pas les voir non plus. Je suis hideux. Je ne suis pas comme eux.

Eux. Ils se dandinent torse nu, musclés, découpés, sans complexe. Certains d’entre eux sont déjà beaucoup plus poilus que moi et ils se dénudent sans honte, sans gêne, en exposant leur sexe à qui veut bien le regarder. Et si tu le regardes, c’est que tu es une tapette et ils te donnent des coups. Ils rient de toi, de ton corps horrible, mal formé, imberbe, comme celui d’un ti-cul.
Eux. Ils se tiennent en gang, parce que ça leur donne de la force, de l’impact. Ils n’ont pas peur de toi ni de rien parce qu’ensemble, ils savent qu’ils ne risquent rien. Ils peuvent te dire les pires conneries, les pires insultes, personne ne va leur dire qu’ils sont cons. Parce qu’ensemble, ils sont forts et ils peuvent te faire mal.






Incipit 3:

Nous avions connu des siècles de grandeur, de fortune et de pouvoir. Des temps héroïques où nos usines produisaient à plein régime, où nos villes se déployaient jusqu’aux pieds des montagnes et jetaient leurs ponts par-dessus les fleuves. Nos richesses débordaient alors de nos maisons, gonflaient nos yeux, nos ventres, nos poches, tandis que nos enfants, à peine nés, étaient déjà rassasiés.
À ce moment sublime de notre histoire, nous n’avions peur de rien. Autour de nous, des plaines fertiles s’étendaient à perte de vue. Nos drapeaux flottaient, conquérants, aux sommets des hautes tours que nous avions bâties, et aveuglés par l’éclat de notre propre triomphe, nous avions la certitude que chaque pierre posée demeurerait là pour l’éternité.
Mais un  jour, les vents tournèrent, emportant avec eux nos anciennes gloires.
Des sommes colossales se mirent à changer de main, mille fois par seconde. Des empires que nous avions crus immuables s’effondrèrent, tandis que d’autres s’engendraient, loin de nos frontières. Dans une accélération imprévue, la fortune que nous pensions acquise nous échappa.
Nos villes, autrefois si grasses, devinrent sèches et laides.
Les unes après les autres, nos usines cessèrent de produire, précipitant sur les routes des armées d’ouvriers aux mains vides.
Dans les ports, dans les gares, nos cargaisons et nos trains restèrent à quai.
Nos banques fermèrent, puis ce furent nos petits commerces, nos grands hôtels, nos stades, nos théâtres.
Bientôt, nos enfants eurent faim, et comme chacun redoutait de perdre le peu qui lui restait, la peur nous enveloppa de son haleine glaciale. Plus de drapeaux, plus de désirs, plus de rêves: le feu qui nous avait habités s’était éteint, et notre communauté se replia sur elle-même.

Une époque nouvelle commença. Un temps sans panache ni projet, où plus personne (pas même le vieux Melchior) ne devinait l’avenir.
Nous attendions quelque chose, mais nous ne savions pas quoi.
Ceux qui travaillaient encore se levaient chaque matin aussi fatigués que la veille, et s’endormaient chaque soir sans révolte. Telles des bêtes engourdies par le froid, nous retenions notre souffle et les battements de nos coeurs: nous ne vivions qu’à moitié.
Pourtant, au milieu du renoncement général, certains eurent l’audace de tomber amoureux. Les plus fous d’entre eux s’aimèrent.
Bo et Hama furent de ceux-là.
Les témoins de leur rencontre s’en souviennent, demandez-leur: ils vous raconteront alors l’étrange impression qui s’empara de tous, lorsque Bo entra, un matin d’hiver, dans la salle des machines.





Incipit 4:

J’ai rencontré la Reine des Renards en 1972, lorsqu’on a quitté le Connecticut pour s’installer en Californie.
J’avais douze ans. Je terminais tout juste ma sixième, et je n’avais aucune envie de déménager. Mais mon père avait décroché un travail à San Francisco. Maman n’arrêtait pas de vanter la Californie, tellement agréable à vivre. On ne nous avait pas demandé notre avis, à mon frère et à moi. C’était comme ça. Les déménageurs sont venus emballer nos affaires, on a traversé tout le pays en voiture et je me suis retrouvée dans un endroit où je ne connaissais personne.
On n’était pas à San Francisco même , mais à Danville, une petite ville de banlieue, à une demi-heure de là en voiture. Danville était entourée de collines tapissées d’une herbe desséchée, grillée, morte. On les appelait les « collines dorées de Californie », ma mère aimait nous le répéter, mais en réalité elles étaient simplement marron.
Ce jour-là, il faisait très beau et l’air conditionné ne fonctionnait pas. Mon père était parti travailler, et ma mère vidait des cartons en attendant le réparateur. Mon frère s’était éclipsé je ne sais où, sans doute pour échapper à la corvée des cartons.
On était dans la cuisine. Soudain, un verre me glissa des mains et se brisa sur le lino.
Maman me fit alors comprendre qu’elle pouvait se passer de mon aide.
« Joan, tu devrais aller faire un tour, tu ne crois pas ? » me lança-t-elle en levant les yeux d’un carton. Il y avait une certaine tension dans sa voix.
Pendant les préparatifs du déménagement, puis tout au long de la traversée du pays, ma mère n’avait cessé de nous chanter les louanges de la Californie. Elle faisait mine d’être joyeuse, enjouée, comme si on vivait une merveilleuse aventure. Mais ça sonnait faux. Je n’y avais pas cru une seconde.





Incipit 5:


5 heures du matin sur une petite route de campagne

Le choc a été très violent. Le camion a surgi de nulle part et a percuté la voiture de plein fouet avant de l’envoyer par-dessus les glissières de sécurité terminer sa course contre un grand chêne.
Elle a fait plus de cinq tonneaux avant de s’immobiliser et maintenant c’est une épave; la roue avant gauche tourne encore tandis que de la fumée commence à s’échapper du capot éventré.
Suspendu la tête à l’envers dans l’habitacle détruit, l’homme sait qu’il va mourir. Cela fait plus d’un an qu’il redoute ce moment. Depuis le jour où il a surpris les plans des Autodafeurs, il a su qu’ils ne le laisseraient pas se mettre en travers de leur chemin.
Il y a trop d’années qu’ils attendent de prendre le pouvoir.
Trop de siècles qu’ils guettent une opportunité.
Il n’avait aucune chance.
Alors, quand il a vu le camion, quand il a subi le premier impact et encaissé le premier tonneau, il n’a pas été surpris mais a juste pensé qu’il aurait aimé avoir plus de temps. Plus de temps pour tenter d’empêcher l’inévitable; plus de temps pour prévenir les gouvernements de ce qui se tramait dans l’ombre; plus de temps pour préparer son fils à prendre sa place.
L’odeur d'essence et la fumée filtrent à travers le parebrise explosé. Il faut qu’il réagisse s’il ne veut pas finir brûlé. L’homme essaie de bouger la main pour détacher sa ceinture de sécurité, mais elle ne lui répond plus. Il comprend que le craquement qu’il a entendu lors du premier impact ne provenait pas de son fauteuil mais de sa colonne vertébrale.
Il ne peut plus bouger, mais au moins il ne souffre pas.
Il entend des pas.
Il aimerait bien croire que ce sont des sauveteurs mais il sait, rien qu’en les écoutant, que ce n’est pas le cas.





Incipit 6:

Certains enfants grandissent en haut d’une colline, d’autres au fond d’une vallée. Ils ont des arbres, ils ont la forêt contre quoi se cogner. La plupart des gens sont élevés sur du plat.
Est-ce qu’on peut dire que je suis comme la plupart des gens ? Je vis sur du plat. Du plat à perte de vue, du plat à ne plus savoir qu’en faire. Du plat à en perdre la tête, à confondre l’endroit et l’envers, le ciel et la terre.
Mais j’ai la mer.
 Je l’aime prisonnière.
Je l’aime enfermée.
Je l’aime glacée.
Parce qu’il y aura toujours un moment où quelqu’un arrivera pour la libérer.
Pour venir à Tiksi, pour venir jusqu’à moi.
Là où tout est noir, là où tout s’éteint.

Chapitre un
- Galya, tu crois qu’ils mettent des canards entiers à l’intérieur ?
- Mais ferme-la, Lazar, tu ne vois pas que je dors ?
- Oui, mais non, je veux vraiment que tu répondes à la question, a insisté mon petit frère.
- Argh, ce que tu m’énerves, je ne sais pas, moi ! Pourquoi tu demandes ça ?
- Il y a peut-être deux, dix ou quinze canards et on n’en sait rien du tout !
- Mais c’est quoi l’intérêt de savoir ? Ce ne sont pas des canards que tu as à l’intérieur de ta couette, ce sont des plumes de canard. Et laisse-moi tranquille, je veux dormir.
- D’accord, mais il faut combien de canards pour en faire une, de couette ?
- Je ne sais pas, je te dis. Ça dépend. Trois ou quatre. Ou dix ou quinze si on veut qu’elle soit chaude.
- Parce que moi, j’aimerais avoir une vingtaine de canards dans l’édredon. C’est un chiffre qui me plaît. Vingt canards.
- Mais enfin, pourquoi tu te poses la question maintenant ? Il est trois heures du matin.
  J’avais froid, j’étais fatiguée et j’avais mal dans la nuque. Je voulais dormir et dormir encore. Je me suis roulée en boule pour avoir bien chaud, les genoux sous le menton, en me tenant les orteils.
- Quand même, je me demande s’ils laissent les becs, a-t-il continué.  





Incipit 7:

Étendue dans l’abri, Anna n’en finit plus de trembler et de gémir. À ses côtés, Ian ne la reconnaît pas tant son visage est convulsé. Il l’appelle doucement, comme pour s’assurer que c’est bien elle. Anna ne répond pas. Sa peau est brûlante, baignée de sueur. Son cou palpite furieusement. Puis, un ultime soubresaut l’ébranle. C’est la surprise de la mort, soudaine.
Ian reste longtemps prostré auprès du corps. Dans le réduit éclairé d’une simple bougie, les cheveux de la fillette, déployés autour de son visage, forment une couronne sale et détrempée qui le fait rayonner encore.
Lorsqu’il se relève enfin, Ian l’enveloppe dans la couverture de son lit. Une couverture souillée, gorgée de transpiration. Entre ses bras il porte le corps, si léger. Il monte vers la lumière, aveuglé, les yeux blessés comme le reste, dissimulant son visage sous un capuchon.
Par chance, le dispensaire n’est pas loin. Il dépose le cadavre à l’entrée et prend la fuite. Il entend une voix qui l’interpelle, mais replonge déjà dans l’obscurité des sous-sols. Impossible de parler à qui que ce soit sans s’effondrer ou perdre la raison.
Le soir venu, il sort de terre avec des milliers de semblables. Il hurle le prénom de sa soeur, « Anna ! Anna ! », avant de lancer une bombe incendiaire contre la vitrine d’un commerce. La Cité s’embrase, comme tant d’autres nuits auparavant. Ian est ivre à force d’explosions, de cris, de brasiers ardents.
Anna, sa petite soeur qui n’est plus. Par sa faute.





Incipit 8:

Prologue
Depuis que le monde est monde, les aléas des astres gèrent la destinée des hommes. Ce fut l’an 1, toutefois, qui marqua le début du règne céleste du dieu Zodiak et de ses 12 Gardiens, les demi-dieux. De concert avec le Soleil, la Lune et les étoiles, ils gouvernent la Terre et ses saisons.
     Le firmament - l’univers de ces divinités - est divisé en 12 groupements d’étoiles traversés par le Soleil. Ces constellations sont appelées Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau et Poissons. Un Gardien du même nom dirige chacune de ces constellations, qui correspondent sur Terre à autant de saisons. Chacun leur tour, les demi-dieux veillent sur les humains le temps d’une de ces 12 saisons.
Mais chaque année survient un bref laps de temps que ne régit aucun Gardien. Il s’agit de la nuit qui sépare la saison du Scorpion de celle du Sagittaire. Au lieu d’échanger les rênes au coeur de la nuit, le Scorpion abaisse ses paupières dès le coucher du soleil, tandis que le Sagittaire n’ouvre les yeux qu’au lever du jour. En outre, l’espace de cette seule et unique nuit, même le dieu suprême ne regarde pas ce qui se passe sur Terre. C’est le moment où se montre la nébuleuse de Meriëm, un amas diffus de poussière d’étoiles, et Zodiak n’a plus d’yeux que pour elle.
Sur la Terre, partout dans les cinq empires, cette nuit qui mène de la huitième à la neuvième saison est alors célébrée dans la plus grande exubérance. En cet instant légendaire, bien des actes se voient dépouillés de leur caractère interdit. Qu’ils soient nés en saison de Feu, d’Eau, de Terre ou d’Air, qu’ils soient nobles ou paysans, les hommes se mêlent sans distinction, mangent, boivent et dansent jusqu’à l'épuisement.






Incipit 9:

Prologue
Le CIEL n’était plus vide.
À l’aube des années 2030, une forme d’intelligence nouvelle régnait sur les espaces infinis du Central d’Informations et d’Échanges Libres.
Le vieil Internet avait été relégué au magasin des antiquités après une trentaine d’années de bons et loyaux services. Son remplaçant l’avait avalé et digéré sans effort. Sa puissance de calcul le lui permettait. Elle l’autorisait à effectuer un milliard de milliards d’opérations à la seconde. Du jamais vu dans l’histoire de l’informatique.
Mais pas dans celle de la nature, qui avait mis des millions d’années à façonner un outil capable d’un tel exploit: le cerveau humain.
Désormais, ce dernier avait un concurrent. Artificiel, mais pas moins dénué de sensibilité. À sa façon, bien sûr.
L’intelligence dans le CIEL pensait à échelle globale. Elle avait à sa disposition l’ensemble des connaissances du monde, contenues dans les mémoires des ordinateurs. Son rôle consistait à gérer le flux de données en provenance de tous les appareils connectés de la planète. Dès qu’une machine, quelque part, avait besoin d’échanger la moindre information, elle s’adressait désormais au CIEL.
Ses concepteurs l’avaient autorisé à prendre des décisions à leur place afin de gagner de précieuses secondes. Toujours plus vite, toujours plus efficace, telle était leur devise.
Pendant les premiers mois de son existence, l’intelligence artificielle s’acquitta parfaitement de sa tâche, obéissante, servile. Dans le même temps, elle observait, analysait, tirait des conclusions. Ordinateurs et téléphones portables lui ouvraient des yeux et des oreilles aux quatre coins du monde.
Elle finit par hiérarchiser de nouvelles priorités.
Puis elle passa à l’action.
Ceci est son histoire et celle des hommes et des femmes qui ont connu l’hiver des machines.





Incipit 10:

FAIT INTÉRESSANT: Le mot "psychologie" vient du grec psyche. Il signifie "étude scientifique des phénomènes de l'esprit".
   Je ne veux pas que quelqu'un étudie scientifiquement les phénomènes de mon esprit. Ça me donne la chair de poule. Mais papa dit que je n'ai plus le choix.
   Cecil ne ressemble pas à un psychologue. Premièrement, il s'appelle Cecil. Sur une plaque en plastique clouée sur sa porte au Centre de santé Coastal, c'est écrit "Dr Levine", mais quand je me suis adressé à lui lors de notre première séance, il m'a demandé: "S'il te plaît, appelle-moi Cecil." Une fois rentré chez moi, j'ai cherché la signification de son prénom. Sais-tu ce qu'il signifie ? "Personne à la vue faible ou aveugle".
  On ne peut pas dire que c'est bon signe.
  Cecil a de longs cheveux gris et fins attachés en queue-de-cheval par un chouchou. Imagine: un chouchou ! Aujourd'hui, pour notre troisième rencontre, il portait une autre chemise tie-dye, mauve cette fois. You-hou ! Cecil ! Les années soixante ont appelé: elles veulent récupérer leur look !
  Après que je lui ai raconté quelque chose, il me pose souvent la même question, comme si on était dans une émission de télé et pas dans la vraie vie:
 - Comment tu te sens à propos de ça ?
  Et puis il dit souvent "Sac à papier", comme dans:
 - Sac à papier, tu es en retard d'un quart d'heure pour la deuxième semaine de suite !
  D'après moi, Cecil n'est pas la crème de la crème des psychologues. Premièrement, il ne coûte rien. Papa m'a expliqué que le gouvernement de la Colombie-Britannique lui verse son salaire, mais je ne crois pas qu'il gagne beaucoup. On est coincés dans son minuscule bureau et ses meubles sont de mauvaise qualité, abîmés et couverts de taches. En plus, on dirait qu'il n'a pas eu les moyens de changer sa garde-robe depuis 1969.
  Malgré toutes ses tentatives, nous n'avons pas encore parlé de ÇA. Quand il me pose des questions pour m'amener sur le sujet, je réponds de ma voix de robot, la Robot-Vox:" Moi... pas... comprendre... humanoïde." Alors il laisse tomber.
  C'est à cause de ma voix de robot que je me trouve ici. Après la grosse histoire avec maman à Noël, mes crises de rage sont revenues et je me suis mis en mode Robot-Vox 24 heures sur 24, y compris après notre déménagement à Vancouver. Parler robot enlève toutes les émotions. "Moi... dire... tout... monocorde." Ça m'aide, mais au bout de huit jours de Henry le Robot, tout le monde s'est affolé, alors papa a pris mon premier rendez-vous chez le psychologue. Et il m'a obligé à y retourner, même quand je suis redevenu le bon vieux Henry ordinaire d'avant.
  Cecil essaie les quelques trucs qu'il connaît pour me faire parler de ÇA. La semaine dernière, par exemple, j'ai mentionné en passant que j'aimais bien écrire, alors aujourd'hui il m'a remis ce cahier et m'a dit:
  - J'ai pensé que ça pourrait te plaire de noter tes réflexions et tes sentiments pour toi, et seulement toi. Journaliser peut avoir un effet thérapeutique.
  Je lui ai répliqué que selon moi, le verbe "journaliser" n'existait pas. Dès que je suis rentré, j'ai jeté le cahier à la poubelle.
  Puis je suis allé le récupérer, mais juste parce que je m'ennuyais.
  À vrai dire, Cecil sait tout à propos de ÇA. Il en a discuté longuement avec mon père avant notre première séance et je miserais mon affiche du Grand Danois qu'il a tout lu sur Internet. Et après avoir analysé tout ce qu'il a pu trouver, je mettrais ma main au feu qu'il s'est demandé pourquoi mes parents ne m'avaient pas envoyé en thérapie tout de suite après ÇA, il y a sept mois et demi.
  J'imagine qu'il s'est dit "Sac à papier ! Pourquoi ont-ils attendu si longtemps ?"









                        Activité 3:
Pour chacun des 10 débuts de romans, dites de quel type il s’agit: incipit dynamique, statique, progressif ou suspensif.






Activité 4:
Pourriez-vous attribuer le titre qui correspond à chacun des 10 extraits ?
Sur quels éléments vous êtes-vous basés pour y arriver ?

Parmi les 10 incipits, quels sont ceux qui vous intéressent le plus et ceux qui vous intéressent le moins ? Justifiez votre réponse.







Petit moment de réflexion:
Selon vous, quels sont les types d’incipit qui peuvent le plus intéresser les lecteurs de littérature jeunesse ? Pourquoi ?





En route vers la littérature classique…


Voici quelques incipits particulièrement connus. Pourquoi ne pas vous laisser aller à imaginer une suite pour ceux qui vous inspirent le plus ?

1. « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
L’Étranger, Albert CAMUS, 1942


2. « En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. »
La Métamorphose, Franz KAFKA, 1915


3. « Condamné à mort !
Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids ! »
Le dernier jour d’un condamné, Victor HUGO, 1829


4. « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »
Du côté de chez Swann, Marcel PROUST, 1913


Et puis aussi, en littérature contemporaine:

5. « La première fois que j’ai vu une femme j’avais onze ans et je me suis trouvé soudainement si désarmé que j’ai fondu en larmes. »
L’accordeur de silences, Mia COUTO, 2011 pour la traduction française


6. « Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien. 
Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache.»
Le rapport de Brodeck, Philippe CLAUDEL, 2007



Activité 5:
Une des fonctions de l’incipit est de donner des informations au lecteur.

Relisez chacun des 10 incipits et relevez les informations qui sont données sur chacun des points suivants.



1. Les extraits donnent-ils des indications sur l’époque et sur le lieu ?


2. Qu'apprend le lecteur  à propos des personnages
Que savons-nous des relations entre les personnages nommés ? 



3. Le type de narrateur.
 Le narrateur est un locuteur qui raconte une histoire. Toutefois, il ne faut pas le confondre avec l’auteur. Le narrateur et l’auteur ne font qu’un uniquement lorsque le texte écrit est autobiographique.

Le narrateur peut raconter une histoire vue de l’intérieur ou de l’extérieur :
Le narrateur qui raconte l’histoire vue de l’intérieur est un narrateur personnage. Ce type de narrateur peut être le héros de sa propre histoire (personnage principal) ou un simple témoin des événements (personnage témoin). Dans les deux cas, il parle à la première personne quand il se désigne.

Le narrateur qui raconte l’histoire vue de l’extérieur est un narrateur externe. Il raconte l’histoire à la troisième personne. Dans ce cas, demandez-vous s’il se manifeste par des commentaires personnels et dans quel but. De plus, il est important d’étudier le point de vue choisi pour mieux apprécier ce type de narrateur.


Quel est le type de narrateur pour chacun des extraits ?




Petit moment de réflexion:

Quel type de narrateur préférez-vous ? 
                    Pourquoi ?




4. Le point de vue du narrateur 

Pour commencer, il faut se demander si le texte est écrit à la première ou la troisième personne.


A Le récit est écrit à la 1ère personne.
 Le narrateur ne connaît des faits que ce qu’il a vu, compris ou entendu dire. Le lecteur découvre les scènes, les paysages et les autres personnages uniquement à travers le regard de ce « je ». 
On parle dans ce cas de point de vue interne (ou subjectif) ou de focalisation interne.


B Le récit est à la 3ème personne
 Le narrateur n’est pas un personnage de l’histoire, ni un témoin.
 Plusieurs cas peuvent se présenter :

1. Il peut décrire la réalité comme un simple observateur. Les personnages et les lieux ne sont vus que de l’extérieur, comme le ferait une caméra. Les pensées des personnages ne sont pas connues ni leur passé ni leur avenir.
On parle dans ce cas de point de vue externe (ou objectif) ou de focalisation externe.

2. Le narrateur peut s’effacer derrière un personnage. Le lecteur voit donc les faits, les paysages et les personnages à travers ce personnage. La présence de verbes de perception (« il vit », « il observa », etc.) et de mots à connotation péjorative ou méliorative sont des moyens pour le narrateur de montrer qu’il s’efface devant la perception du personnage. Attention, le récit est tout de même écrit à la 3ème personne! 
On parle dans ce cas de point de vue interne (ou subjectif) ou de focalisation interne.

3. Le narrateur peut tout voir, tout savoir. Il peut entrer dans les pensées des différents personnages, savoir ce qu’il y a de l’autre côté d’un mur, connaître le passé et l’avenir des personnages.
On parle alors de point de vue omniscient ou de focalisation zéro.





Quel est le point de vue dans chacun des 10 extraits ?




Petit moment de réflexion:

Quel est le type de point de vue qui vous semble le plus intéressant ?






À présent, il est temps de vous plonger dans la lecture de ces romans et de vous demander lesquels méritent, selon vous, de recevoir un prix littéraire !



Au mois d’avril, vous pourrez voter pour 2 romans:
  • le meilleur roman dans la catégorie « littérature québécoise et canadienne »
  • et le meilleur roman dans la catégorie « littérature étrangère »



2 commentaires:

  1. Un excellent thème de travail, particulièrement bien présenté.
    Bravo :-)

    Marine Carteron

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  2. Merci ! Il faut dire que le début du roman Les Autodafeurs était particulièrement inspirant pour préparer un travail de ce type et qu'il a beaucoup plu à mes élèves !
    Christelle Bastard

    RépondreEffacer